Art & Climat: Quand les artistes s’engagent pour l’écologie

Art & Climat: Quand les artistes s’engagent pour l’écologie

Introduction

Si les artistes sont bien connus pour leur engagement sur des sujets sociétaux, allant des questions de justice sociale à celles de genres et d’identités, ils sont nombreux à avoir travaillé à même le paysage dans l’optique de révéler les méfaits du capitalisme et de notre société de consommation sur notre biodiversité, support de toute humanité. Du point de vue du marché, l’expression de la nature comme un espace collectif et les formats gigantesques des productions artistiques enracinées dans le paysage compliquent la notion de propriété et la valorisation de ces créations. A la croisée des pratiques artistiques telles que la performance théâtrale, la photographie, la vidéo, le paysagisme,l’ingénierie et le développement informatique, les artistes ont mobilisé un panel éclectique de techniques pour révéler l’urgence d’une destruction écologique souvent perçue comme abstraite.

Art et Paysage

La nature au coeur du sujet artistique ne date pas de la Coop 21 - évènement qui avait mené à des engagements explicites de la part de stars de l’art contemporain comme Olafur Elliasson. E,n effet, on retrouve dès les années 60 des considérations environnementales dans les travaux d’artistes américains et européens. En plein boom industriel, des artistes américains repoussent les frontières de la création artistique en manipulant les phénomènes naturels et en transformant des paysages comme support de production. On parle aux USA du “Land Art” dont Richard Long, Robert Smithson, Nancy Holt, Walter de Maria, Michael Heizer et Dennis Oppenheim sont les pionniers. A travers leurs oeuvres avant-gardistes s’opposent à l’urbanisation grandissante et destructrice, ainsi qu’à la société de consommation en développant des projets non commercialisables. Par exemple, Robert Smithson créé en 1970, une spirale longue de 460 mètres et large de presque 5 mètres à partir de la roche, du sable et de la boue constituant le paysage local, formant une jetée prenant source dans le Great Salt Lake (Spiral Jetty). En 1977, Walter de Maria élève 400 piliers en acier inoxydable (The Lightning Field) segmentant un terrain de 1 km cube à New Mexico dont l’apparence change en fonction du moment de la journée et prend sa forme la plus spectaculaire lors des orages survenant dans la région. Dans le même temps en Europe, l’artiste allemand Nils Udo délaisse les techniques traditionnelles pour travailler avec les arbres et les plantes. En effet, il plante littéralement ses créations dans le paysage, laissant la nature maîtresse de création et de destruction. Pour conserver des traces de ses oeuvres, Udo, à l’instar de Smithson, Maria et d’autres, utilise la photographie et la vidéo pour immortaliser ses créations. Parmi les nombreux projets dont l’artiste est à l’origine, Udo répond en 2013 à l’appel d’offre des communes d’Eguzon Chantôme et de Crozant pour initier un projet culturel dans l’espace rural français. Le travail nommé Radeau d’Automne, une oeuvre sculpturale de 6.80 mètres de haut et 3.90 mètres de large fut modelée à même le paysage, cristallisant ainsi l’identité culturelle et territoriale de la région dans un travail artistique exceptionnel. Dans ses propres termes, l’artiste explique “ Agir conformément aux lois naturelles sonne comme une évidence pour moi; Faire partie de la nature, être intégré au sein même de l’écosystème, et reposer sur celui-ci me fait réaliser chaque jour à quel point être en harmonie avec notre environnement est fondamental pour notre survie”. Si vous souhaitez découvrir l’oeuvre de Nils Udo, la fondation EDF montre en ce moment quelques fragments de son travail.

Activisme et art environnemental et digital: valorisation d’un art impalpable

Les collectionneurs se sont rapidement emparé des travaux dont le format rend l’achat possible. En 2015, une impression d’Olafur Eliasson fut vendue 23K€ lors de la vente de charité de Christie’s dont la date coïncidait avec le sommet de la Coop 21. La question de l’art comme commodité a également été défiée par les productions digitales. En effet, depuis les années 90, beaucoup d’artistes ont utilisé la technologie pour réfléchir sur la troisième révolution industrielle, ainsi que le future de l’humanité, les limites du capitalisme, les “communs” et l’écologie. Dû à la difficulté de les monétiser, ces oeuvres restent dans les collections de musées plutôt que dans les mains de collectionneurs. Par exemple, le centre de la culture contemporaine à Barcelone a organisé une exposition en 2018 - Win-Win, After The End of the World - menée par le philosophe du climat Timothy Morton pour exposer des œuvres numériques et performatives d'artistes se mobilisant pour l'environnement. Parmi les artistes invités, on a retrouvé Rimini Protokoll, un collectif d'artistes dont la pratique vise à réfléchir sur l’individualisme et l’avenir des populations menacées par le changement climatique. À travers des installations vidéo et des œuvres d'art intégrées au paysage urbain, le collectif a mis en avant la perte importante de la biodiversité et des changements écologiques sans précédent. Pour cette exposition, ils ont créé une projection vidéo interagissant avec le public, ainsi qu’une réflexion sur la pullulation des méduses, phénomène annonciateur de la fin de notre humanité.

Activisme dans l’art

"Les artistes d'aujourd'hui concentrent leurs préoccupations autour de sujets davantage sociopolitiques, que les générations précédentes, dont l’objectif était plus l’exploration créatrice de nouvelles techniques", déclare Alexis Lowry, conservateur à la fondation Dia art à New York. Portant l'héritage du Land Art, des artistes tels que Olafur Eliasson, Shepard Fairey et Tomás Saraceno, ont profité de la Coop 21 à Paris pour exposer des œuvres d'art grandeur nature dans la capitale pour encourager un engagement mondial en faveur de l'action climatique. Par exemple, dans son oeuvre “Ice Watch” Olafur Eliasson a placé 12 blocs de glace issus du fjord Nuup Kangerlua au Groenland sur le parvis du Panthéon au même moment que la Coop 21. La fonte des blocs en temps réels symbolisait l’urgence pour les dirigeants mondiaux de s’engager dans des actions significatives pour le climat, tout en sensibilisant les citoyens vis à vis de la catastrophe imminente. "Le but est d'engager un large public pour offrir une nouvelle perspective sur le monde dans lequel nous vivons", explique Tanya Bonakdar, vendeuse de Olafur Eliasson à New York. Dans une veine plus technologique, John Gerrard qui apprécie la manipulation de modèles digitaux complexes a, dans son oeuvre “Solar Reserve” utilisé une technologie hautement sophistiquée pour simuler les mouvements réels du soleil, de la lune et des étoiles dans le ciel du désert du Nevada. “Je voulais montrer l’importance du soleil comme source d’énergie primaire dans notre histoire et souligner la domination du pétrole comme principale ressource, au coeur de toutes les activités humaines depuis un siècle” déclare l'artiste. L'une des questions qu'il cherche à poser dans ses oeuvres est le potentiel des installations solaires pour faire face à la crise énergétique actuelle et à quel point les énergies renouvelables pourraient répondre à notre consommation d'énergie exponentielle. Au travers de la mise en place de modèles mathématiques et de technologies complexes, Tomás Saraceno, remet en question notre consommation énergétique délirante et cherche des alternatives aux ressources limitées. Dans son projet open source nommé Aerocene, il donne la possibilité à chacun de projeter dans les airs une sculpture flottante chargée d’une caméra et d’un ensemble de capteurs mesurant la température, l'humidité et la pression de l'air ainsi que la charge en pollution atmosphérique. Cette oeuvre reflète la volonté inclusive de l’artiste à engager tous les citoyens à prendre conscience de la composition de l’air. Inspirés également par le ciel comme environnement de production, le couple d'artistes Christo et Jeanne-Claude insistent sur la dichotomie entre nature et production industrielle. Faisant ainsi écho contraire aux “Land Artists” dont l’oeuvre cherchait à confondre les lignes les productions humaines avec celles de la nature.

Conclusion

Allison Tickel, qui gère la bicyclette de Julie, un organisme de bienfaisance soutenant des artistes et des initiatives créatives nous fait part de son sentiment sur un engagement écologique de la part des acteurs de la création artistique: "au cours des deux dernières années, l’engagement pour le climat est au coeur des créations des artistes et des expositions. Nous ne cessons de rencontrer des musiciens, des dramaturges ou encore des plasticiens dont le travail met en avant la place de l’homme au coeur de la biodiversité et sa dépendance à la bonne santé des éco-systèmes». Enfin, si on parle beaucoup des salons et des expositions comme mauvais élèves du climat, certaines foires telles que Art Basel, ont pris l'initiative de publier un rapport annuel sur leurs émissions, reflet de la prise de conscience grandissante des acteurs du marché de l’art face au danger de la crise climatique.Pour conclure, si les artistes et les collectionneurs sont loin d'être “carbon free emissions”, leurs positions de messagers est essentielle pour montrer appeler la société à adopter des modes de vies résilients.

February 5, 2020