[Convelio x Valerie Bach] Episode 4 - Portrait de Valerie Bach

[Convelio x Valerie Bach] Episode 4 - Portrait de Valerie Bach

Valérie, vous disposez aujourd’hui d’un espace exceptionnel à Ixelle, pourriez-vous me parlez de vous, votre parcours et comment en êtes-vous arrivé à créer un espace en Belgique, vous qui êtes française ?

Passionnée par l’art, j’ai tout appris sur le tas. En effet, je ne viens pas d’un parcours académique en histoire de l’art mais d’une école de commerce. Après mes études, le hasard m’a amenée à travailler dans une galerie parisienne. C’est le travail et les rencontres qui m’ont permis d’ouvrir mon propre espace. Le métier de galeriste ne s’apprend pas dans les livres, c’est très complexe, c’est une passion, il faut faire preuve de beaucoup d’investissement et d’empathie et de psychologie. On doit gérer une grande famille au quotidien : les artistes et les collaborateurs.

Pourriez-vous me parler de ce lieu “La Patinoire royale” que vous avez transformé en espace d’art contemporain ?

La Patinoire royale, ou encore le « Royal Skating », comme l’appelaient alors les Bruxellois, a été construite en 1877, au cœur du quartier de Saint-Gilles. Le bâtiment qui, à l’origine, accueillait des patineurs à roulettes a été transformé, en 1900, en garage Bugatti. Cinq ans plus tard, il servait de dépôt à la Fabrique nationale d’armes de guerre de Herstal. Après la Seconde Guerre mondiale, la Patinoire fut à nouveau utilisée comme garage par la société Siemens puis, en 1975, comme un lieu d’exposition de voitures de collection. En 2007, séduite par la force architecturale et historique du lieu, j’ai souhaité lui redonner vie qui était abandonné depuis les années 2000. L’architecte Jean-Paul Hermant et le designer d’intérieur Pierre Yovanovitch se sont chargés de la rénovation de l’espace, et c’est après 7 ans de travaux que nous avons pu inaugurer le lieu.

Vous semblez avoir une ligne curatoriale plutôt engagée, pourriez-vous me décrire votre processus de sélection quant aux artistes représentés ?

C’est un lieu atypique pour une programmation atypique. Je vois trois axes de réflexion dans ma démarche: Tout d’abord, la femme artiste: par exemple, l’exposition actuelle “American Women” donne la voix à 16 artistes plasticiennes questionnant le rôle de la femme et son rapport au corps dans les sphères publiques versus privées, la détermination due au genre et aux origines, et plus généralement la question de discrimination sur laquelle la journaliste engagée Gloria Steinem a beaucoup travaillé. J’ai aussi exposé deux fois Alice Anderson qui explore plusieurs médiums tels que le fil et le cuivre pour mémoriser les objets et les lieux sous forme de totems conceptuels et minimalistes. Dernièrement dans l’exposition Sacred Gestures in Data Worlds, elle adapte sa réflexion la mémoire dans le contexte de notre ère digitale.

Monumentality

Ensuite je dirais la monumentalité, par exemple, le “Labyrinthe de Transchromie” de Carlos Cruz Diez que nous avons exposé en avril 2019 à la galerie, puis sous la nef du Grand Palais lors de la Biennale de la même année. Il y eu aussi la rétrospective consacrée aux deux génies de le “l’agencement spatial” - l'architecte et designer français Jean PROUVE et le sculpteur grec Vassilakis TAKIS (1925) - pour laquelle nous avons remonté un mobile home de Prouvé dans la galerie. Ou encore, les créations du tandem franco luxembourgeois Feipel Bechameil exposées trois fois à la galerie et dont on a pu voir à Paris, au cœur de la Chapelle du Saint Esprit (75005) lors de la nuit blanche 2019 une grande cloche en résine polyester d’où est sortie la musique sacrée des Sept Péchés capitaux, revue par le musicien et compositeur belge Chris Christoffels.

Art cinetique valerie bach

Enfin, je suis très touchée par l’esthétique forte des œuvres. Je choisis d’exposer des artistes qui transmettent une émotion, et dont l’œuvre est transcendantale. Il y a une vraie identité dans ma programmation. Je voyage, je vais à la rencontre des artistes, il y a un rapport très humain, voir familial avec eux. Nous nous choisissons mutuellement, il y a une confiance commune, nous ne signons pas de contrat. C’est comme avec les visiteurs, ce qui est clé pour moi c’est de donner, c’est le rapport humain, c’est de le faire avec cœur. J’imagine que cela doit se ressentir dans notre programmation.

Quels sont les plus gros défis selon vous pour une galerie d’art contemporain aujourd’hui ?

Continuer à exister. Une galerie c’est comme commerce de quartier, on doit faire face à la concurrence sans limite d’un marché mondialisé et à la fois nous voyons qu’il y a un regain vers la consommation locale, comme pour les boutiques de quartier… Cette crise du COVID-19 permettra peut-être de calmer la frénésie des salons et de passer plus de temps sur place à gérer des expositions locales et à se concentrer sur la découverte de nouveaux artistes et la gestion des relations avec eux.

Observez-vous un changement par rapport à vos débuts ?

Il y a sans doute plus de galeries, plus de salons et un esprit encore plus mercantile… Et à la fois le grand débat du « collectionneur versus investisseur » ne date pas d’hier ! On en parlait déjà il y a 25 ans… la seule différence c’est qu’aujourd’hui tout va plus vite ! Avec l’évolution technologique et la démocratisation de l’accès à l’information sur internet, les collectionneurs ne viennent plus chercher l’info comme dès lors, ils en savent presque plus que nous. Et puis l’apport médiatique du digital, c’est fou ! Quand on pense qu’à mes débuts il fallait faire venir un professionnel pour prendre les photos des œuvres, ça coûtait une fortune et ça vous prenait la journée ! Ensuite il fallait les envoyer aux clients par la Poste…. Aujourd’hui en quelques secondes vous avez déjà pris et diffusé la photo à des milliers de personnes partout dans le monde.

Que pensez-vous du défi environnemental actuel ?

C’est une question qui me préoccupe beaucoup ! On ne se rend pas compte mais c’est une réelle menace. De toute évidence il faut ralentir, moins voyager, éviter de prendre l’avion pour aller de salons en salons et se concentrer sur le local !

June 8, 2020